samedi 19 décembre 2015

P(apa) N(ovember) R(oméo), atterrissage autorisé !

Depuis plus de dix ans, l'Union Européenne (UE) tente d'adopter une réglementation relative à un fichier européen de données sur les passagers aériens ou plus communément appelé « Passenger Name Record » (PNR).
Dès 2004 et sur demande des États-Unis qui souhaitaient recevoir les données des passagers issus d'Europe, l'Union européenne a tenté de mettre en place un PNR d'abord avec les États Unis puis propre à l'UE sans succès, échec qui a été reconduit avec le nouveau projet de 2011.
Source : theparliamentmagazine.eu

La principale critique résidait dans l'incompatibilité du projet de réglementation avec les droits fondamentaux et en particulier avec les droits à la protection de la vie privée et aux données personnelles de tous les voyageurs, tels que définis aux articles 7 et 8 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.
Relancée après les attentats de Paris en janvier 2015, il aura fallu attendre début décembre 2015 pour que les 28 États membres de l'UE adoptent une position commune, validée par la commission des libertés civiles du Parlement européen. Dans un second temps, le projet de directive sera mis au vote en séance plénière début 2016 puis devra être approuvé en Conseil des ministres de l'UE. Si elle est adoptée, cette directive devra ensuite être transposée dans les législatives nationales des États membres dans un délai de deux ans. .


Quel est l'objectif exact de ce système de collecte des données PNR ?
Pas besoin de chercher plus loin tout est dit dans le titre officiel de la future réglementation, la directive européenne réglementant l'utilisation des données des dossiers passagers (PNR) pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière. En d'autres termes, il s'agit de contraindre les compagnies aériennes à transmettre les données de leurs passagers issus de pays de l'UE dans le but d'aider les autorités à lutter contre le terrorisme et la criminalité grave. Plus précisément, les données PNR désignent les différentes informations fournies par les passagers aux transporteurs aériens au stade de la réservation commerciale et de l'enregistrement. Ces données permettent d’identifier, entre autres l’itinéraire et les dates du déplacement, les vols concernés, les informations concernant les bagages, le contact à terre du passager (numéro de téléphone au domicile, professionnel, etc.), les tarifs accordés, l’état du paiement effectué, le numéro de carte bancaire du passager, mais également les services demandés à bord qui peuvent informer sur les préférences alimentaires spécifiques (végétarien, asiatique, casher, etc) ou même sur l’état de santé du passager, s'il demande spécifiquement des services particuliers durant le vol.
Les données PNR ne peuvent être traitées que pour la prévention et la détection d'infractions terroristes et d'infractions graves ainsi que la réalisation d'enquêtes et de poursuites en la matière.
Une liste unique des infractions a été établie, incluant par exemple la traite d'êtres humains, la participation à une organisation criminelle, la cybercriminalité, la pédopornographie et le trafic d'armes, de munitions et d'explosifs. Ainsi il est important de souligner que l'utilité de cet outil ne se limitera pas à détecter des terroristes ou des combattants étrangers mais aussi à lutter contre les trafics de drogue entre autres.
Selon l'eurodéputé britannique et rapporteur du dossier PNR, Timothy KIRKHOPE, « les données PNR détectent des schémas de comportement, elles ne font pas le profilage des antécédents des gens, elles ne cherchent pas à extraire des informations sensibles. »
En effet, la finalité de leur recueil est de pouvoir identifier des personnes n'ayant pas de lien connu avec le terrorisme, mais dont l'analyse des données pourraient suggérer leur implication et déclencher des enquêtes. Certains pays comme le Royaume Uni et l'Irlande ont déjà un PNR, et, d'autres sont en train de mettre en place, mais il n'y a pas encore de coordination au niveau européen pour que ces registres puissent communiquer entre eux. La France, elle, a mis en place, à titre expérimental, le système API-PNR .

Qui est concerné  par cette réglementation?
Le futur PNR européen s'applique à tous les vols extra-européens c'est à dire ceux qui partent d'un État tiers vers un État membre de l'UE et inversement. Les transporteurs aériens de ces vols devront transférer les données PNR vers les « unités de renseignements sur les passagers ». Ce n'est pas obligatoire mais les vols intra-UE peuvent être également concernés.
Cependant, sont exclus du champ d'application de la directive tous les opérateurs économiques autres que les transporteurs aériens, comme les agences et les organisateurs de voyage. Les États membres sont quand même autorisés à prévoir conformément à leur droit national un système de collecte et de traitement de données PNR détenues par ces opérateurs.
Après d'âpres discussions, le délai de rétention des données en toute transparence a été réduit à six mois de conservation des données transmises par les transporteurs aériens. Après ce délai, les données seront conservées de façon masquée pendant quatre ans et demi.

La principale question sur ce projet de réglementation est relative aux garanties de protection des données personnelles.
Pour le groupe européen des 29 CNIL, le G29, une telle réglementation n'était acceptable que dans le cas où la nécessité d’une telle collecte était démontrée et le principe de proportionnalité respecté. Ainsi, il devient obligatoire pour l'unité nationale de renseignements sur les passagers de nommer un délégué à la protection des données chargé de contrôler le traitement des données PNR et de mettre en œuvre les garanties correspondantes ainsi qu'agir comme point de contact unique pour toutes les questions relatives au traitement des données PNR du passager concerné.
De plus,l'autorité de supervision nationale sera chargée de vérifier la légalité du traitement des données et de mener des enquêtes.
En outre, l'octroi de l'accès à l'ensemble des données PNR qui permettent d'identifier immédiatement le sujet des données devra se faire uniquement dans des conditions très strictes et limitées après la période de conservation initiale.
Enfin, tout traitement de données devrait être journalisé ou faire l'objet d'une trace documentaire, et les passagers devraient être clairement et précisément informés de la collecte des données PNR et de leurs droits.
Autre particularité, le texte prévoit l'existence d'une clause de révision de la réglementation. En effet, la Commission devra effectuer une révision de la directive sur les PNR de l'UE deux ans après sa transposition en droit national notamment sur le respect des normes de protection des données à caractère personnel, la proportionnalité, la nécessité aux objectifs, la durée de conservation et l'efficacité du partage des données entre les Etats membres . Cette révision pourrait même permettre d'élargir le champ d'application de la directive aux opérateur économiques.

Même s'il est légitime de s'interroger sur l'efficacité réelle d'une telle réglementation, le PNR américain n'aurait réussi à faire intercepter que deux terroristes en dix ans, ce nouvel accord européen semble satisfaisant pour la protection des données à caractère personnel. La confiance dans cet accord peut être d'autant plus assise que la Cour de justice européenne ne manquera de censurer l'accord si la balance est plus en faveur de la sécurité que des libertés personnelles. En effet, la CJUE a incarné en 2015 pleinement son rôle de gardien des libertés personnelles en annulant la directive sur la conservation des données ou l'accord du Safe Harbor.


Sources :
1. Communiqué de presse n°894/15 du 4 décembre 2015 du Conseil de l'UE "Directive de l'UE relative aux données des dossiers passagers (PNR) : le Conseil confirme l'accord intervenu avec le Parlement européen.
2. Editorial "PNR, l'épilogue" du magasine "Expertises des systèmes d'information" décembre 2015

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