dimanche 22 novembre 2015

Réseaux sociaux et règles juridiques

Avant de commencer mon article, je tenais à rendre hommage à toutes les victimes des terribles attentats de Paris mais également à toutes les victimes de tous les actes terroristes bien trop nombreux sur notre planète. Je tenais également à saluer toutes les forces de police, armées et de secours qui se sont mobilisées pour nous protéger et tout ceux qui se mobilisent encore.

 Source : fotomelia.com
Internet a d'ailleurs eu un rôle important dans cette mobilisation. En effet, nous pouvons saluer les initiatives constructives des réseaux sociaux qui ont permis, d'une part, de connaître si nos proches parisiens étaient en sécurité et, d'autre part, de lancer un mouvement de solidarité et de soutien aux victimes. Ces heureuses actions ont supplanté la campagne virulente de cyberattaques (défigurations des sites ou de dénis de service) ou même l'affichage public sur les réseaux sociaux de soutien à Daesh qui avaient lieu après les attentats de janvier 2015.

A ce sujet, il est important de rappeler que les réseaux sociaux sont des espaces où la liberté d'expression n'est pas absolue et peut connaître certaines limites.
Certes, la liberté d'expression est consacrée comme « l'un des droits les plus précieux de l'homme » par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et sa valeur constitutionnelle est réaffirmée régulièrement par le Conseil constitutionnel qui y voit une « garantie essentielle du respect des autres droits et libertés » depuis sa décision du 11 octobre 19841.
Sur la toile, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN)2 laisse toute sa place au droit commun de la liberté d'expression tout en y apportant des limites qui sont similaires à tout autre autre support d'expression ou tout autre média ordinaire.
En effet, un post sur Facebook ou un tweet sur Twitter peuvent comme tout support d’expression avoir un contenu illicite, contenu interdit et puni par la loi (propos racistes, diffamation, insulte, apologie du terrorisme, etc.) et son auteur peut donc être sanctionné pour ce propos.
L'exemple le plus parlant est celui de Dieudonné M’Bala M’Bala qui a été condamné pour apologie du terrorisme3, à la suite de son propos tenus sur Facebook « je me sens Charlie Coulibaly », ce qui marquait, selon le ministère public, sa sympathie à l’égard du terroriste antisémite.

En est-il de même concernant le simple retweet ? Le retweet du message illicite expose-t-il son auteur aux mêmes sanctions que le tweet initial ?
Retweeter une insulte ou une diffamation sans autre précision peut être interprété comme une reprise à votre compte de l’expression outrageante et vous exposer à commettre la même infraction4 ou à en être complice.
A la différence du « j'aime » sur Facebook, le retweet sur Twitter ne permet pas de connaître la position de l'internaute au sujet de ce qu'il relaie, approuve-t-il ou au contraire condamne-t-il les propos illicites ?
Cette question est d'autant plus complexe que l'internaute peut se prévaloir sur de son anonymat sur Twitter ou d'un propos tenu dans le cadre de sa sphère privée en fonction des paramètres de verrouillage sur Facebook.
Pour illustrer cette problématique, il faut savoir qu' en droit du travail, plusieurs juridictions du fond ont eu à connaître de messages très critiques, parfois même injurieux ou diffamatoires, tenus par des salariés à l’encontre de leur employeur. L’enjeu était le suivant, s’ils étaient analysés comme des correspondances privées, ils relevaient de la sphère de la vie personnelle et ne pouvaient donner lieu à aucune sanction ; s’ils étaient analysés comme des propos publics, ils pouvaient constituer la base de sanctions disciplinaires, allant jusqu’au licenciement.
En matière pénale, le TGI de Paris, dans une ordonnance du 24 janvier 2013, a ordonné à Twitter de donner les coordonnées d'auteurs de messages antisémites. En conclusion, le pseudonnyme n'est donc pas une protection absolue, et le juge peut facilement se faire communiquer le nom des intéressés, afin d'engager des poursuites à leur encontre.

De façon plus simple, en cas d'observation d'un contenu illicite sur les réseaux sociaux, il est important de le signaler à la plateforme officielle de signalement des infractions5  ou encore de le signaler directement aux réseaux sociaux qui ont l'obligation, sur le fondement de l'article 6-I-8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique de mettre en place un dispositif de signalement des contenus illicites conforme au droit français.

En dehors de toute sanction juridique, l'utilisation des réseaux sociaux doit rester mesurée et raisonnable pour notamment préserver son « e-reputation ». A ce sujet, la CNIL recommande sur Facebook de créer différentes listes correspondant aux membres de votre famille, à vos amis proches, à vos collègues, etc., puis adapter les paramètres de confidentialité en fonction des informations que l'internaute souhaite partager avec chaque catégorie de personnes. La CNIL rappelle également qu'il est possible de modifier ou de supprimer des données personnelles sur Internet, en cas de refus du moteur de recherche ou d'autres acteurs sur Internet, vous pouvez adresser une plainte en ligne à la CNIL car il s'agit d'un droit reconnu par la loi Informatique et Libertés6.
Maîtriser son e-reputation c'est aussi éviter de se faire pirater ses comptes sociaux7 et de se faire usurper son identité. L’infraction d’usurpation d’identité numérique est depuis la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite LOPSI II8 passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende9.

Internet est loin d'être un espace de liberté absolue, en dehors peut être des réseaux anonymes tels le réseau TOR, et cela vaut aussi bien pour tout réseau social qui peut être également soumis à des dispositions de propriété intellectuelle, de prescription, de protection des données à caractère personnel, des dispositions sur l’utilisation des données pouvant servir de preuve dans des poursuites judiciaires nationales et internationales.


Notes de bas de page :
1 Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984 relative à la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse
2 Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.
3 http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/03/25/97001-20150325FILWWW00241-apologie-du-terrorisme-dieudonne-fait-appel-de-sa-condamnation.php
4 L'insulte et la diffamation publiques se définissent comme des délits de presse, soumis au régime de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 et sont punies pénalement.
5 https://www.internet-signalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/Accueil!input.action
6 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés .